1.11.11

Il faut bien finir.

Mais à la fin était aussi un commencement.
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25.10.11

Continuer?

...me paraît toujours sinistre d’entendre dire d’un vieux, avec admiration, qu’il se maintient bien, qu’il continue à faire ce qu’il faisait (…) ; mais continuer n’est pas un acte de vitalité.

Roland Barthes, La préparation au roman, Séance du 19 janvier 1980.

20.10.11

J'irai plus dans vos booms...

Crab feuilleta son agenda et répondit que non, hélas, à son grand regret, il ne pourrait être de la fête, ayant justement prévu ce soir-là de rester tout seul chez lui à s'emmerder comme un rat mort.

Eric Chevillard, La nébuleuse du crabe.

13.10.11

L'occasion.


Saisis-moi au passage si tu en as la force
et tâche de résoudre l’énigme de bonheur que je te propose.

Marcel Proust, Le temps retrouvé.
Pict : Gerhard Richter.

9.10.11

Girafes, chevaux et capitalisme.


Les girafes et les chevaux ne se couchent que pour mourir. La  simple fatigue ne parvient pas à leur faire plier le genou. Il y faut l’impératif absolu de la mort, insensible à l’esthétique de leur verticalité. L’éthologiste explique cette particularité par le fait que ces deux animaux, peu prédisposés par leur morphologie (longues pattes sur lesquelles pèse un poids considérable, éloignement des antérieures et des postérieures) à pouvoir passer d’une posture horizontale à un certain hiératisme rapidement, et malheureusement forts disposés, herbivores de peu, à être chassés par de multiples et véloces prédateurs, n’épousent le sol qu’au prix d’une téméraire réduction statistique de leur espérance de vie. De leur perpétuelle disposition à la course dépend leur survie.
L’on est un peu rassuré d’apprendre que le cheval est doté d’une configuration ligamenteuse particulière aux niveaux du coude et du jarret, lui permettant un certain confort de la station debout. Par ailleurs, être couché s’avère en réalité pénible pour cette bête en raison des dimensions considérables de son estomac sur lequel il lui est malaisé de faire peser son poids. A l’état sauvage toutefois, l’on a pu observer que les poulains ou les bêtes d’un certain âge osent se reposer en position allongée. Un manège strictement réglé se met alors en place, selon un roulement n’autorisant qu’un petit nombre d’individus de la même population à se coucher au sol tandis que demeurent dressées, toujours, les silhouettes obscures des vigiles désignés attendant patiemment la fin de leur quart.
La girafe, charmante de son nom arabe « zarafah », ne dort quant à elle jamais véritablement. Se contentant de somnoler, elle conserve toujours les yeux entrouverts, braqués sur la ligne d’horizon. Radicale veilleuse, la girafe est le seul vertébré terrestre qui ne baille pas. Plus spectaculaire peut-être encore : la girafe ne s’allonge pas même pour mettre bas – contredisant de ce fait la pertinence de cette dernière expression, mais « accoucher » ne convient pas non plus. Incidemment, la naissance du girafon consiste avant toute autre considération en une chute de deux mètres en moyenne. L’expérience est tôt faite, avec choc et fracas, de la pesanteur terrestre. Et si au bout d’une simple heure, le girafon qui vient d’affronter l’abysse n’est pas capable de se tenir sur ses canes tremblantes et de se hisser jusqu’aux mamelles de sa mère, celle-ci l’abandonne ou le tue sans autre forme de procès.
L’on pourrait penser que le cheval connaît aujourd’hui, dans nos sociétés modernes qui l’ont domestiqué, une ère plus clémente. Mais l’homme dont aurait pu venir le salut a en réalité pris le relais du prédateur naturel, et perpétue l’inflexible loi. Dans l’hippodrome comme dans la savane, où la girafe s’affole en sentant l’haleine brûlante de la lionne sur ses sabots, se coucher c’est mourir. Car l’usage veut que l’étalon qui chute dans l’arène sous les assauts de son jockey soit achevé sur place par le patron d’écurie, d’un coup de revolver. La chute signifie la blessure, et la blessure signifie des soins trop onéreux pour le propriétaire qui considère généralement l’investissement démesuré pour une carne pas même capable de terminer une course. Quand au milieu des acacias, la mâchoire du félin claque sur le jarret de la girafe rattrapée, le coup de feu résonne dans les gradins du stade et c’est la fin. Dans les deux cas, l’animal qui s’est affalé, venant creuser le gazon vert ou la poussière jaune du puissant sillon de sa déchéance, a signé son arrêt de mort. D’un côté loi de la jungle, de l’autre celle de l’argent, de la rentabilité, du capitalisme boursouflé gonflant ses crevures jusqu’au cœur du règne animal.
Parfois, depuis le lit où je m’allonge à toute heure pour haranguer en rêve les foules agitées de la ville qui m’assiège, prosélyte de ce temps mort dont les hommes ne meurent pas encore, j’ai presque l’impression de faire la révolution.

4.10.11

Interactions vitales

    

Une idée longtemps prédominante en biologie a été que la disparition de nos cellules – comme notre propre disparition en tant qu’individus – ne pouvait résulter que d’agressions de l’environnement, d’accidents, de destructions, de famines, d’une incapacité intrinsèque à résister au passage du temps, à l’usure et au vieillissement. Mais au long de cent cinquante ans d’interrogations, de perplexité et de recherches qui se sont longtemps poursuivies dans l’obscurité avant d’émerger en pleine lumière, la réalité s’est progressivement révélée de nature plus complexe et plus paradoxale.
Aujourd’hui nous savons que toutes nos cellules possèdent, à tout moment, la capacité de déclencher leur autodestruction, leur mort prématurée, avant que rien, de l’extérieur, ne les détruise. C’est à partir de leurs gènes – de nos gènes – que nos cellules produisent les « exécuteurs » moléculaires capables de précipiter leur fin, et les « protecteurs » capables un temps de neutraliser ces exécuteurs. Et la survie de chacune de nos cellule dépend, jour après jour, de la nature des interactions provisoires qu’elle est capable d’engager avec d’autres cellules de notre corps, interactions qui seules lui permettent de réprimer le déclenchement de l’autodestruction.
Une cellule qui a vécu un jour, un mois, ou un an dans notre corps est une cellule qui, pendant un jour, un mois ou un an, a réussi à trouver dans son environnement les molécules, fabriquées par d’autres cellules, qui lui ont permis de réprimer son autodestruction. Une cellule qui commence à mourir dans notre corps est, le plus souvent, une cellule qui, pour la première fois, vient de cesser de trouver dans son environnement les molécules nécessaires à la répression de son autodestruction. Nous sommes des sociétés cellulaires dont chacune des composantes vit en sursis, et donc aucune ne peut vivre seule. Et c'est étrangement de cette précarité même, de cette vulnérabilité et de l'interdépendance absolue qu'elles ont fait naître que dépend notre existence en tant qu'individu. Un corps est plus que la somme des cellules qui le composent, parce qu'il est aussi la somme des relations que ces cellules établissent entre elles, et dont dépend à tout moment leur persistance. 
(...)
Nous percevons habituellement la vie comme un phénomène individuel – une cellule vit – mais les notions que je viens d'évoquer suggèrent que la vie a aussi une dimension collective. En d’autres termes, lorsque nous observons une cellule et que nous nous demandons quels sont les éléments qui sont à la fois nécessaires et suffisants à sa survie, nous ne pouvons pas véritablement répondre si nous oublions qu’une partie de la réponse est « la présence d’autres cellules ».

Jean Claude Ameisen, interviewé par  Catherine Vincent pour Les assises internationales du roman 2010.
pict: Walter Niedermayr

30.9.11

Je ne m'approchai jamais plus de cet aquarium. Axolotl 2.

Il ne s'agit pas d'une expérience faite en rêve, il ne s'agit pas d'un cauchemar mais d'une expérience de la vie quotidienne. J'avais été au Jardin des Plantes pour le visiter -j'aime les jardins zoologiques- et tout à coup, dans une salle pareille à celle qui est décrite dans la nouvelle, très vide et très sombre, j'ai vu l'aquarium des axolotls et ils m'ont fasciné. Je me suis mis à les regarder. Je suis resté une demi-heure à les observer car ils étaient si étranges qu'au début je croyais qu'ils étaient morts, ils bougeaient à peine, mais peu à peu tu voyais le mouvement de leurs branchies. Et quand tu apercevais ces yeux dorés... Je sais qu'à un moment donné, dans cette contemplation intensive, j'ai été pris de panique. C'est-à-dire qu'il m'a fallu tourner les talons et partir, mais immédiatement, sans perdre une seconde. Cela, naturellement, ne se passe pas ainsi dans la nouvelle.
Dans la nouvelle, l'homme est de plus en plus fasciné et il ne cesse de revenir jusqu'à ce que la situation bascule et il pénètre dans l'aquarium. Mais ma fuite, ce jour-là, vient d'à ce que moment-là j'avais comme pressenti ce danger. Nous pourrions romancer la chose, dire qu'un homme imaginatif se met à regarder et à découvrir ce monde hors du temps, ces animaux qui le regardent. Il sent qu'il n'y a pas de communication mais en même temps il a l'impression qu'ils lui demandent quelque chose. S'ils le regardent c'est qu'ils le voient, mais qu'est-ce-qu'ils voient exactement? Enfin, toute cette série de questions. Et soudain il sent qu'il y a comme une ventouse, un entonnoir qui pourrait bien l'engloutir.
Alors il faut fuir. J'ai fui. Cela est absolument exact.
C'est sans doute un peu ridicule mais c'est absolument exact. Et je ne suis jamais retourné à l'aquarium du Jardin des Plantes. Je ne m'approchai jamais plus de cet aquarium. J'ai l'impression d'avoir, en effet, échappé ce jour-là à un danger. A tel point qu'il y a quatre ans, quand Claude Namer et Alan Carof ont voulu faire un film sur moi, ils ont prévu une séquence au Jardin des Plantes pour montrer les axolotls. Mais ils n'ont pu me persuader d'y retourner. Non. Ils m'ont filmé sortant d'un pavillon qui n'était pas celui des axolotls. Après ils ont fait un montage. Carof a parfaitement compris.

Julio Cortazar, Entretiens avec Omar Prego.